« L’entreprise espagnole de travail temporaire Terra Fecundis a été condamnée vendredi 10 juin 2022 à verser plus de 80 millions d’euros pour avoir fraudé des organismes sociaux français en envoyant des milliers d’ouvriers agricoles étrangers dans des exploitations françaises en violation des règles sur le travail détaché.
DES CONDITIONS DE TRAVAIL HARASSANTES
Cette somme spectaculaire de 80 394 029 € vient en « réparation du préjudice financier » provoqué par le non-paiement des cotisations et contributions sociales à l’organisme chargé de les collecter auprès des entreprises françaises, l’Urssaf, selon une décision judiciaire écrite.
Contactés par l’AFP, les avocats de Terra Fecundis n’ont pas donné suite aux demandes de réaction.
Pendant quatre ans, de 2012 à 2015, cette firme espagnole a envoyé plus de 26 000 ouvriers, originaires d’Amérique du Sud, d’Équateur pour la plupart, travailler dans des exploitations agricoles françaises, dans le Gard, les Bouches-du-Rhône ou la Drôme.
En juillet 2021, Terra Fecundis avait déjà été reconnue coupable d’avoir détourné la procédure européenne du détachement qui permet aux entreprises de faire travailler du personnel à l’étranger, mais uniquement pour des missions limitées dans le temps.
Or, Terra Fecundis a rémunéré ces travailleurs détachés au salaire minimum français, mais en payant ses charges sociales en Espagne où elles sont jusqu’à 40 % moins élevées, rendant cette main-d’œuvre vulnérable moins chère pour les agriculteurs français.
« Il s’agit du plus important dossier de fraude à la Sécurité sociale jamais jugé en France », avait souligné l’avocat de l’Urssaf Provence-Alpes-Côte d’Azur, Me Jean-Victor Borel, lors du procès.
Jugée coupable de dumping social par le tribunal de Marseille, l’entreprise officiellement basée à Murcie (sud de l’Espagne) et aujourd’hui rebaptisée « Work for All » avait alors été condamnée à 500 000 € d’amende.
Quatre ans de prison avec sursis et 100 000 € d’amende avaient également été prononcés contre les trois dirigeants espagnols.
Vendredi, tous les trois ont été reconnus solidairement responsables des préjudices subis par les organismes sociaux parties civiles et devront donc personnellement participer au paiement des 80 millions d’euros.
Le procès de Terra Fecundis avait mis en lumière les conditions de travail harassantes de ces travailleurs précaires peu enclins à se défendre. « C’est Germinal dans les exploitations agricoles avec Terra Fecundis, la Bête humaine est devenue une entreprise de travail temporaire », avait tancé le parquet en évoquant le roman d’Émile Zola sur les ouvriers du XIXe siècle.
« VOIX DES TRAVAILLEURS ENTENDUE »
L’accusation avait souligné le fait que les travailleurs étaient « parfois hébergés dans des conditions où on ne pourrait même pas héberger des animaux » et qu’ils n’étaient pas payés à hauteur du travail effectué.
Des ouvrières affectées à l’emballage des fruits travaillaient notamment de 6 h ou 7 h le matin à 21 h ou 22 h le soir, selon l’accusation. Des ramasseurs d’asperges avaient également expliqué travailler dans les champs jusqu’à 70 heures par semaine, dimanche compris quand d’autres n’avaient bénéficié que d’un seul jour de congé pour une quarantaine de jours travaillés.
« Nous n’avons jamais eu de sanctions de la part de l’Inspection du travail de Murcie », s’était défendu Juan Jose Lopez Pacheco, seul des trois dirigeants présent au procès l’année dernière, assurant que l’entreprise « régularisait les heures à la fin de la mission » du salarié détaché.
Le responsable s’était en outre étonné de l’absence des exploitants agricoles français devant ce tribunal.
Les plus de 80 millions d’euros de réparation infligés à Terra Fecundis vendredi constituent « une victoire symbolique importante grâce à laquelle la voix des travailleurs a été entendue », a réagi l’avocat du syndicat CFDT, partie civile, Me Vincent Schneegans.
« C’est une décision très satisfaisante et en même temps frustrante car les travailleurs agricoles qui n’osent pas agir par peur des représailles n’ont pas de réparation directe », a-t-il ajouté. Le syndicat a obtenu vendredi le versement de 30 000 € en réparation d’un préjudice moral. »
D’après Ouest France « Fraude au travail détaché : la société espagnole Terra Fecundis condamnée à 80 millions d’euros »